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L'humour: tentative de définition, un séminaire de Bernard Gendrel et Patrick Moran

École normale supérieure, Paris, 2005-2006.

Le nonsense, par Nicolas Cremona

Le nonsense

Tout comme l'humour noir, auquel il est souvent lié, le nonsense est souvent considéré comme une des formes les plus pures de l'humour, tant il est loin de l'ironie et d'autres formes du comique. Né en Angleterre, il désigne une forme d'humour lié à l'absurdité ou à l'excentricité. Il s'agit de présenter des personnages ou des situations incongrues avec gaieté. Pourquoi employer le terme anglais et pas le mot français non-sens?

Le mot anglais a une extension beaucoup plus vaste que le terme français et désigne une «bêtise», du «n'importe quoi», alors que le non-sens est presque un terme technique en français définissant un raisonnement illogique ou absurde. Ainsi, nonsense paraît plus apte à désigner un type d'humour que le non-sens (que l'on retrouve plus dans les corrigés de versions latines que dans les théories de l'humour).

Pour tenter de définir le nonsense, on peut procéder par la voie négative et le différencier de formes proches: le monde à l'envers, l'absurde, le paradoxe.

Ainsi, on associe souvent le nonsense à la vision d'un monde inversé, négatif du monde réel. Il y a en effet ce type d'univers dans Alice au pays des merveilles, où Alice devient la servante d'un lapin. Mais suffit-il de présenter un monde à l'envers pour faire du nonsense? Le topos du monde à l'envers, que Bakhtine a longuement et brillamment étudié implique toujours un retour à l'ordre, un ultime renversement. Le désordre est une parenthèse, et sert à renforcer l'ordre; c'est exactement la fonction du carnaval à la Renaissance et de la fête des fous. Dans le nonsense, le monde à l'envers n'est jamais remis à l'endroit. Par ailleurs, le monde à l'envers s'exprime à travers des formes codées à la Renaissance: pensons notamment à l'Eloge de la folie d'Erasme ou à l'éloge des dettes de Panurge au début du Tiers livre; ces deux éloges paradoxaux sont de véritables morceaux de bravoure de rhétorique. Rien de tel dans le nonsense qui échappe à une codification rhétorique.

Parallèlement, le nonsense peut être rapproché de l'absurde: en effet, le nonsense présente des situations absurdes ou incongrues, qui semblent défier les lois de la logique et ne référer à aucun élément du monde réel. Mais l'absurde d'un roman de Kafka ou d'une pièce de Beckett diffère du nonsense. D'ailleurs, en anglais, on parle de «theatre of the absurd» et non pas de «nonsense theatre». L'expression anglaise montre (et c'est bien commode) qu'il y a une différence de perception entre les deux variétés. Chez Beckett, l'absurde se présente comme une vision du monde inspirée par une philosophie pessimiste. L'absurdité du monde soumis à la vieillesse et à la mort, l'absurdité du langage qui ne peut que se répéter sans innover, sans rien dire (dans Oh les beaux jours) ont une valeur de preuve ou de démonstration. Cela n'exclut pas qu'on puisse rire à certains passages de la pièce de Beckett. Le nonsense, quant à lui, semble difficilement utilisable dans le cadre d'une philosophie.

Enfin, pour certains, le nonsense s'apparente au paradoxe, au mot d'esprit. Le paradoxe consiste à opposer dans une même phrase deux propositions incompatibles et à présenter leur relation sous l'aspect de la logique; ainsi, Oscar Wilde, grand spécialiste en la matière, peut dire: «Mes goûts sont simples, je me contente du meilleur.» Ce mot d'esprit relève du paradoxe car il se présente comme un pseudo-raisonnement logique, mais il ne correspond pas au nonsense, tant il est lié à un art de la conversation, à une recherche de l'effet. Les aphorismes brillants d'Oscar Wilde cherchent à susciter la surprise et l'admiration: on se dit que c'est bien senti, bien trouvé, «bien rédigé» comme diraient les Guermantes. Le nonsense est plutôt du côté de la surprise sans admiration. Il serait moins intellectuel que le mot d'esprit.

Le nonsense ne peut pas être assimilé à ces trois formes mais il leur est lié néanmoins: il peut présenter un monde à l'envers, mais sans le renverser; l'absurde fait partie du nonsense mais il n'est pas pris au sérieux, pas pris philosophiquement; le nonsense peut emprunter des formulations paradoxales mais il ne recherche pas l'effet brillant et ne peut pas se couler dans une rhétorique.

Comment définir le nonsense? La voie négative indique des formes voisines mais ne permet pas de donner une conception claire et définie. A vrai dire, si l'on balaie la critique sur le nonsense, on constate la rareté de théories sur la question et une abondance de mises en pratique. Parmi les théoriciens du nonsense, on peut dégager deux positions antagonistes, qui représentent deux extrêmes: celle de Chesterton, polémiste catholique et polygraphe anglais du début du siècle, partisan d'une approche philosophique et existentielle du nonsense, et celle de Genette, plus centrée sur la logique et la linguistique, dans «Morts de rire».

Conception philosophique du nonsense: Chesterton

On trouve dans l'anthologie Le Paradoxe ambulant deux articles de Chesterton sur le nonsense: «L'humour», paru dans The Spice of Life et «Défense du nonsense», tiré de The Defendant.

Dans le premier de ces articles, Chesterton fait une généalogie de la notion d'humour et aborde le nonsense à la fin de son article: pour lui, le nonsense est l'aboutissement historique des autres formes d'humour. C'est «de l'humour qui a pour l'instant renoncé à tout lien avec l'intelligencei».

«C'est de l'humour qui abandonne toute tentative de justification intellectuelle, et ne se moque pas simplement de l'incongruité de quelque hasard ou farce, comme un sous-produit de la vie réelle, mais l'extrait et l'apprécie pour le plaisirii

«C'est la folie pour la folieiii»

Gaieté, plaisir et gratuité sont les maîtres mots de cette définition.

Dans «Défense du nonsense», la réflexion se poursuit et l'auteur se livre à une grande comparaison entre Edward Lear, auteur des Nonsense Poems, et son contemporain Lewis Carroll. Pour Chesterton, avant Lear, il y a eu du nonsense mais celui d'Aristophane, de Rabelais «était satirique – c'est-à-dire symbolique: c'était un genre d'exubérante cambriole autour d'une vérité découverteiv. »

Avec Lear, le nonsense n'a plus cette dimension allégorique, ce rapport à l'intelligence. C'est en ce sens que Lear est supérieur à Carroll car il renonce à l'intelligence. Carroll est trop intellectuel, trop mathématicien alors que Lear introduit ses absurdités dans un monde poétique. Le nonsense est donc une fuite du monde.

Après cette comparaison, Chesterton élargit la perspective et propose de voir dans le nonsense un retour à un émerveillement premier devant le monde, et pas seulement la création d'un merveilleux totalement coupé de la réalité. Pour le polémiste catholique qu'est Chesterton, le nonsense est amené à devenir une nouvelle littérature qui viendra au secours de la vision spirituelle du monde

Le sentiment d'émerveillement devant l'exubérance des choses indépendamment de notre contrôle rationnel est la source de la spiritualité, mais aussi celle du nonsense.

Et Chesterton achève son article par cette brillante péroraison :

«La personne bien intentionnée qui, ayant simplement examiné le coté logique des choses, décide que «la foi, c'est le nonsense» ne sait pas de quoi elle parle; elle risque plus tard de découvrir que le nonsense, c'est la foiv

On voit donc l'évolution de la position de Chesterton qui part de l'idée de folie pour la folie et aboutit à une vision d'un nouveau merveilleux, d'inspiration chrétienne. Ces deux aspects sont-ils cohérents? Rien n'est moins sûr. Reprenons la comparaison entre Lear et Carroll : il apparaît qu'au regard des critères de Chesterton, ce serait plutôt Carroll qui vaincrait Lear. En effet, Lear propose des poèmes clairs du point de vue logique, qui ont un sens. Il reprend la forme du limerick, poème bref de cinq vers souvent grivois. Ce sont les situations qu'il peint qui sont incongrues(un vieillard mange des araignées, un autre plonge dans l'Etna et se plaint que ce n'est pas à la bonne température) : est-ce vraiment du nonsense? Lear ne reste-t-il pas lié à l'intelligence, en employant une forme codée et en introduisant dans le réel des personnages excentriques? Carroll, quant à lui, semble aller beaucoup plus loin, puisque son univers est totalement délié du monde réel. C'est cette absence de référence au monde réel qui ferait le véritable nonsense, et c'est Lewis Carroll qui est du côté du merveilleux et non Lear.

Chesterton lui-même parvient-il à réaliser le programme qu'il propose? Est-ce que ses oeuvres illustrent son idée du nonsense comme merveilleux chrétien? Les histoires du père Brown, son ouvrage le plus connu, fonctionnent comme des paradoxes: un crime impossible est commis, le père Brown, détective amateur mais grand connaisseur des mystères de l'homme et de la nature, annonce la solution du problème sous la forme d'un paradoxe, et la suite de l'histoire consiste en l'explication rationnelle du paradoxe. A ce titre, le nonsense est nié, car tout est expliqué. L'humour des histoires du Père Brown repose plus sur une présentation amusante des décors et des personnages que sur un merveilleux ou un jeu de folie. La pratique de Chesterton montre qu'il reste souvent du coté du paradoxe.

C'est peut-être dans son roman Le nommé Jeudi, (1911) que Chesterton est le plus proche de son idéal de nonsense. Le roman raconte comment six policiers sont engagés secrètement par un personnage inconnu dans une confrérie d'anarchistes qui projette de semer le chaos en Angleterre. On découvre à la fin que le personnage inconnu est Dieu et qu'il a soumis les hommes à une épreuve: voir le désordre du monde à travers le regard d'un anarchiste est un moyen de constater in fine l'harmonie du monde et de revenir à l'ordre. Or, ce retour à l'ordre, au rationnel, est clairement exprimé par la narrateur qui sous-titre le roman «un cauchemar». Dès lors, ce qui aurait pu être du nonsense est écrasé par la fin moralisante. Paradoxalement, c'est le prosélytisme de Chesterton qui l'empêche d'atteindre à l'émerveillement chrétien. Il n'y a pas vraiment de nonsense car l'ordre est rétabli à la fin par la révélation que tout est un rêve. Le rétablissement du sens ou de la raison montre qu'il n'y a pas de nonsense. A ce titre, cet auteur reste prisonnier de la raison. Décidément, Chesterton est trop intelligent pour faire du nonsense.

On pourrait reprendre l'opposition entre étrange, fantastique et merveilleux que formule Todorov dans Introduction à la littérature fantastique: l'étrange consiste à présenter des éléments paradoxaux qui seront expliqués rationnellement à la fin, le fantastique naît de l'hésitation entre une explication rationnelle de faits curieux et une croyance au surnaturel; et le merveilleux repose sur un monde totalement délié de la réalité et qui exhibe son aspect fictif et imaginaire. Si l'on transpose cette grille à l'oeuvre de Chesterton et à d'autres écrits apparentés au nonsense, on peut dire que Chesterton reste du coté de l'étrange et que le vrai représentant du nonsense est celui qui pose son univers comme merveilleux, absurde, sans aucune référence au réel, c'est-à-dire Lewis Carroll. Dans le même esprit, les récits de voyage imaginaires d'Henri Michaux, regroupés dans Ailleurs (1948), représentent de bons exemples de nonsense merveilleux, puisque le narrateur y décrit des mondes totalement imaginaires et absurdes qui ne se laissent pas appréhender par la logique du monde réel. Le début du Voyage en grande Garabagne est exemplaire: chez les Emanglons, on se livre à des activités parfaitement absurdes au regard du narrateur (des combats de boue, des lâchers de fauves dans les rues) mais qui correspondent à des jeux numérotés pour les Emanglons. La logique du réel n'a pas de prise sur les activités de ces peuples.

Le fait que Chesterton ne remplisse pas le programme qu'il a fixé dans ses articles ne nous mènera pas pour autant à invalider sa théorie du nonsense merveilleux, qui correspond à certaines tentatives de Carroll et Michaux mais qui ne relèvent pas de la foi chrétienne. Face à cette conception philosophique et existentielle, proposons l'hypothèse de Gérard Genette, plus centrée sur la logique et les faits de langage.

Une conception logique du nonsense

C'est à la fin de son article «Morts de rire» (Figures V) que Genette parle du nonsense (p 215-219). Mais le critique ne le définit pas, il propose des exemples et les examine au cas par cas, dans des fragments déliés.

Pour Genette, le nonsense peut être analysé: «c'est le négatif d'un dialogue parfaitement sensé. Ça relève de l'humour logique».

Voici quelques exemples: dans Ninotchka de Lubitsch, un personnage demande à un garçon de café : «Garçon, apportez-moi un café crème sans crème.» et le garçon répond: «Ah, nous n'avons pas de crème. Voulez-vous un café au lait sans lait?». Pour Genette, ceci est un classique du nonsense burlesque. On ne comprend pas très bien le terme de nonsense burlesque, si l'on considère que le burlesque repose sur une inversion du haut et du bas. Genette analyse cet extrait comme le renversement absurde d'un énoncé clair. Le rajout de la négation, absolument inutile sur le plan de la communication de l'information, crée le nonsense. Mais c'est aussi et surtout la réponse du garçon qui se prend au jeu qui contribue à rendre ce dialogue comique: le garçon reprend la formule par habitude, par dérision ou par naïveté (Genette ne tranche pas). Sans cette reprise, on aurait un énoncé absurde: ici ce qui fait rire, c'est la répétition et la variation: le nonsense se présente comme un énoncé logique (une réponse à une question) puisqu'il reprend la question (même si elle est illogique). Le nonsense est donc fondamentalement un jeu avec la logique, un déguisement de l'absurde sous les traits de la logique.

Dans le même genre, Genette mentionne un exemple de « nonsense par excès d'évidencevi»tiré de La Grande Illusion de Renoir: «Etre végétarien n'a jamais empêché d'être cocu». C'est un pur truisme dont le sel tient à ce qu'il prétend démentir une assertion absurde. Là encore, le nonsense repose sur une apparence de raisonnement logique sur un fond parfaitement illogique. Il parodie la logique.

Autre exemple: «Depuis que j'ai coupé ma barbe, je ne reconnais plus personne.»(Léon-Paul Fargue) : c'est un nonsense car l'auteur prétend créer une relation logique entre deux faits qui n'ont rien à voir entre eux. On ne s'y attend pas. Il y a un effet de surprise. C'est d'ailleurs cette surprise qui crée le nonsense. Sans la surprise, on aurait un simple raisonnement absurde. Par exemple, lorsque Bertrand Russell présente cet énoncé absurde, sans référence: «L'actuel roi de France est chauve», il ne crée pas un nonsense mais un simple énoncé vide de signification. Le nonsense doit donc s'appuyer sur autre chose qu'un énoncé absurde. A moins de classer Russell et Wittgenstein parmi les humoristes, ce qui ne paraît pas évident.

Mais on peut reconstruire l'énoncé «Depuis que j'ai coupé ma barbe, plus personne ne me reconnaît.» Le nonsense fonctionne comme un négatif de raisonnement sensé.

A ce titre, ne serait-il pas réduit à une simple formulation? Lorsqu'on peut reconstruire une logique derrière, le nonsense reste-t-il du nonsense?

Par ailleurs, Genette cite d'autres exemples de nonsense qui ne semblent pas se placer sur le même plan que les précédents. Faute de donner une définition du nonsense, le critique mélange boutades, mots d'esprit et nonsense. Ainsi, il cite ce mot de Jean XXIII qui, à la question «Combien de personnes travaillent au Vatican?», répondit: «A peu près la moitié». Ici, le comique vient du glissement logique: on demande un nombre, on répond une proportion. Le glissement est rendu possible par une ambiguïté de la question. Mais on ne peut pas mettre cet exemple sur le même plan que les précédents puisqu'il signifie quelque chose.

Il est difficile de proposer une conception purement logique du nonsense. En effet, procéder ainsi conduirait à envisager le nonsense comme une forme renversée de logique, un artifice rhétorique, un simple négatif d'un discours logique.

Nous ne proposerons pas de définition du nonsense mais nous essaierons de louvoyer entre les deux positions extrêmes développées précédemment, à travers quelques exemples.

Quelques exemples et propositions

Le nonsense pourrait reposer sur le déroulement logique d'une situation de départ illogique: il se présenterait sous la forme de la logique, tout en étant parfaitement illogique. Ainsi, dans son roman Ferdydurke (1938), Witold Gombrowicz insère un épisode digressif «Philidor doublé d'enfant» qui raconte le duel entre Philidor, un professeur partisan de la synthèse et l'Anti-Philidor, son adversaire partisan de l'analyse. Les deux adversaires commencent par opposer «du macaroni» et «des macaroni», «l'essence du macaroni, le macaroni en soi» et «un composé de farine, d'oeufs». Puis l'analyste se met à décomposer la femme de Philidor (un nez, une bouche, deux yeux, deux oreilles); le synthéticien riposte en synthétisant la maîtresse de son rival (il la force à se concentrer sur un problème de logique); enfin, le synthéticien gifle l'analyste et le cri de douleur de l'Anti-Philidor est la preuve qu'il a ressenti tout entier la douleur et non pas seulement sa joue. Gombrowicz réalise ici un nonsense par emballement de la logique, à partir d'une base excentrique. A ce propos, on peut se demander si le nonsense peut se développer à grande échelle, sur plusieurs pages, de façon illogique: la mise en récit n'implique-t-elle pas obligatoirement une mise en ordre, un déroulement logique?

Cet emballement absurde se retrouve chez Michaux dans «Plume au restaurant»; le poème fonctionne par gradation: tout devient de plus en plus démesuré et décalé. Le nonsense joue de l'accumulation et du décalage.

Le nonsense peut se présenter comme un jeu avec le langage non rhétorique (sinon, il serait assimilé au simple paradoxe) : l'avalanche de phrases absurdes dans La cantatrice chauve et l'histoire de Bobby Watson qui est mort mais dont on parle comme s'il était vivant relèvent du nonsense car deux faits contradictoires sont présentées comme des vérités. Le cas Bobby Watson illustre le jeu sur le langage (tous les membres de la famille Watson s'appellent Bobby) et le déroulement d'une logique illogique (Watson est mort et vivant à la fois).

Le poème de Lewis Carroll, Jabberwocky, inséré dans De l'autre côté du miroir, illustre une autre tentative du nonsense, reposant sur l'invention de mots imaginaires placés au milieu d'un poème épique racontant une lutte entre un héros et un monstre nommé le Jabberwock: on comprend le sens du poème, bien que certains mots n'aient aucun sens. Dans la préface de La chasse au Snark, autre poème pseudo-épique, Lewis Carroll prétend, cum grano salis, ne pas faire du nonsense en expliquant que tous les vers de son poème sont clairs sauf un vers qu'il cite (et qui est parfaitement clair, quoique anodin). Se peut-il qu'un texte clair et logique passe du coté du nonsense uniquement par l'intrusion de mots sans référence?

Le nonsense n'est donc pas uniquement une forme aberrante ni une vision du monde merveilleux. Il est entre les deux. Il peut servir d'instrument, de véhicule à d'autres types d'humour, comme l'humour noir par exemple, dans certains sketches du film Le Sens de la vie des Monty Python. Sous sa forme ramassée, il cherche à provoquer la surprise mais pas l'admiration. Il s'adresse moins à l'intelligence que le paradoxe et se présente toujours sous les traits de la gaieté, du plaisir. C'est en effet peut-être le point commun de tous les exemples mentionnés ici. Il pourrait y avoir plusieurs degrés de nonsense, de l'illogique à l'a-logique, du simple énoncé apparemment logique illustrant un contenu aberrant à la présentation illogique d'un monde coupé de la logique du réel, forme de merveilleux a-logique (Alice au pays des merveilles). Nous laisserons à d'autres le soin de construire cette «bathmologievii».

Nicolas Cremona

i G.K. Chesterton, Le Paradoxe ambulant, Actes sud, 2004, p 151.

ii ibid, p 151.

iii ibid, p 151.

iv ibid, p 186.

v ibid, p 190.

vi G. Genette, Figures V, "Morts de rire", Paris, Seuil, coll. "Poétique", 2002, p 217.

vii La «bathmologie» ou science des degrés est un projet formulé par Roland Barthes dans ses derniers écrits, elle a été reprise ironiquement par Dominique Noguez dans son roman Les Martagons, Gallimard, 1995.

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